dimanche 30 novembre 2008

Circulez ! Il y a à voir ...

Les supports urbains habituellement utilisés par les pochoiristes - tels que palissades, murs, portes et volets - sont notoirement peu mobiles. La propagation d’un pochoir dans l’environnement urbain passe donc préférentiellement par sa répétition, à moins de pocher sur un train ou une bagnole. Un outil de dissémination alternatif du pochoir est le panneau de signalisation amovible. Un bon exemple nous est donné ici par Soljah et une de ses applications au verso d’un panneau d’interdiction temporaire de stationnement. L’illustration a été photographiée rue du Bailly en 2008 mais il semble que le pochoir existe depuis 2005 au moins. Au gré de leur utilisation, ces panneaux sont régulièrement rassemblés et redistribués dans les rues des communes et des villes, trimballant avec eux les pochoirs-parasites qu’ils affichent à leur envers. Cette stratégie de dissémination artistico-propagandiste a été exploitée par d’autres artistes dans le passé … Notamment par le brésilien Cildo Meireles (1948 – toujours là) qui, dans les années septantes, ajoutait des messages contestataires (genre : « yankees go home ») sur des bouteilles en verre de Coca-Cola et profitait ensuite du système de consigne pour les envoyer se balader un peu partout dans le pays. Aliénation supplémentaire de notre pochoiriste Soljah : ses motifs d’immeubles renvoient … à la ville ! Signifiant et signifié s‘enroulent donc ici dans une jolie boucle d’amplification urbaine. Et puisque ce panneau nous interdit de nous parquer, nous n'avons d'autre choix que celui de continuer à déambuler ... A la recherche d'autres pochoirs.

Et Dieu vit que cela était bon.

Regardez-le pavoiser ! Au pied du Golgotha, Satan s’apprête à savourer sa victoire … Ce qu’il n’a pu obtenir par la tentation, il est proche de l’atteindre par la crucifixion. Il a bon, le diable. Il ne se doute pas que, dans quelques jours, il se ramassera la baffe de sa vie … Alors laissons le jouir de son hilare arrogance et concentrons-nous sur ce pochoir. Vous ne risquez pas de le voir sur une façade ou une palissade, en effet … Son auteur, JLT, a choisi de ne s’exprimer que sur des murs intérieurs ou sur des supports qui ne sont pas destinés au grand air ! L’exemplaire ci-contre a été poché cet été sur le mur d’une classe de l’ancienne école de batellerie (sise rue Claessens) à l’occasion du festival O[n]ZE organisé par l’asbl Bulex en août dernier. L’œuvre pochoiresque de JLT, encore émergente, est fortement inspirée par ses convictions religieuses et cette réalisation en est un bon exemple. Les références sont fortes et courageuses … L’auteur affirme d’ailleurs lui-même « qu’être un artiste-chrétien est plus difficile, parce que prise de risque, qu’un artiste-anarchique » (extrait d’un interview réalisé pour ce blog). Et ceci explique cela … Le confinement indoor du travail de JLT est la conséquence directe de l’éthique artistique que sa Foi lui commande. Ainsi, « saccager des murs en représentant Jésus est contradictoire, c’est le paradoxe d’une technique » (idem). JLT, pochoiriste de chambre officiant dans l’anti-chambre de l’enfer … Les disciples de Jésus devront se serrer autour de la table, afin d’accepter parmi eux un artiste dont nous espérons pour bientôt la Confirmation … Solennelle.

mercredi 26 novembre 2008

Haut les mains !

Les scientifiques adorent prendre des mesures et faire des corrélations. A force de comparer n’importe quoi avec n’importe quoi, ils arrivent toujours à trouver quelque chose. C’est ainsi qu’est née l’anthropométrie criminelle que l’on doit à des éminents savants comme Johann Kaspar Lavater, William Sheldon et Cesare Lombroso. Comment ça marche ? Simple … On prend des gentils et des méchants, on mesure plein de paramètres comme la longueur de l’oreille droite et celle du pied gauche (vrai !) … puis on compare les deux groupes … et, bing, forcément, ça ne rate pas, on trouve que les gentils et les méchants ont au moins un rapport ou un coefficient différent (genre longueur du nez multipliée par la surface du front divisée par la racine carrée du poids du menton) et donc discriminant. C’est amusant mais déjà un peu moins rigolo lorsqu’on inverse le sens de la déduction et, passant de la population à l’individu, on suspecte quelqu’un d’être un criminel simplement sur base d’un indice anatomique parfaitement crétin. C’est le fameux délit de « sale gueule » cher à Eugène Vidocq … Ceci étant dit, il y a un petit indice anthropométrique sympa que j’aime bien, le « digit ratio », c’est-à-dire le rapport entre la longueur de l’index (D2) et celle de l’annuaire (D4). Pour des raisons dont je vous épargne l’explication (ça tourne autour de l’exposition intra-utérine du fœtus aux hormones testostérone et œstrogène), le rapport D2:D4 est plus petit chez l’homme que chez la femme. Certains savants (encore eux !) pensent y voir un signe de divergence darwinienne, le fait d’avoir un long annuaire par rapport à l’index ayant peut-être permis aux hommes (surtout les hommes-mâles) d’être plus habiles à lancer des cailloux contre les mammouths que les femmes. Nous avons donc fait le calcul 2D :4D de la main pochée « à l’ancienne » sur la façade d’une maison située à l’angle de la rue Meyerbeer et de l’avenue Albert. La moyenne du digit ratio calculé sur les deux pochoirs identifiés sur ces murs est de 0.961, c’est-à-dire pile-poil le résultat attendu pour un homme ! Mais la prudence est de mise dans notre conclusion … Car force est de reconnaître que nous ne savons rien de la proportion de filles parmi les pochoiristes. Pire, il se pourrait que les filles-pochoiristes soient prédisposées à cette activité illégale (et à mieux tenir une bombe aérosol dans leurs mains) suite à une hyper-masculinisation fœtale marquée par un ratio D2 :D4 peu élevé ! Seule solution pour y voir plus clair : que les filles pochoiristes s’avancent et lèvent la main …

dimanche 16 novembre 2008

Derrière les poubelles ...

Jef Aérosol (né en 1957 et pas encore mort) a pris la vague punk en pleine tronche ... Depuis lors, il n'a cessé de nous renvoyer ses flocons d'écume sous la forme de pochoirs-portraits consacrés aux musicos du genre. Pas besoin d'amplification caricaturale ici, l'éclat de génie de l’artiste est dans l'immédiat du découpage, dans la vérité du bombage. Le résultat : une magnifique collection de gueules dont Paris a été la galerie privilégiée ... Mais pas que ! Bruxelles a en effet eu droit à quelques applications du Maître, dont ce garçon assis récemment (re-) découvert sur un mur masqué par un monticule de sacs d'immondices et de meubles disloqués rue des Chartreux. Dire que le même pochoir sur toile se négocie dans les 4.000 euros dans les galeries d’art … Dans l'oeuvre de Jef Aérosol, ce profil (intitulé "Sitting Kid") est associé au flamboyant Johnny Thunders (1952 - 1991, qu'Elvis ait son âme), et plus particulièrement à l'album solo "So Alone" produit par Steve Lillywhite en1978. Johnny Thunders, c'est le punk US faisant la nique au punk UK ... On savait s'amuser à l'époque. La chanson "So Alone"- très curieusement- n'est pas sur l'album vinyl éponyme mais elle contient ce passage digne d'anthologie et que je ne peux m’empêcher de vous citer : "I’m so all alone, I’m so alone, I’m so all alone, I’m so alone". On comprend que le gosse du pochoir l'ait plutôt sombre et lourde. Alors, Jef, pourquoi ne reviendrais-tu pas un de ces jours à Bruxelles nous pocher une copine à not' pauv' gamin, ou alors au moins une console de jeux ? C'est bientôt Saint-Nicolas !

jeudi 13 novembre 2008

Camarades pochoiristes, levez-vous !

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». C’est par ce texte que se termine le film de rap-western « Ma 6-T va crack-er » réalisé au prix d’un bon million d’euros par Jean-François Richet en 1996 (oui, le Richet des Mesrine 1 et 2). Le film raconte la désolation exacerbée et exaspérante des cités. Le texte est l’article 35 de la déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen dans sa version de 1793, une variante dissidente de celle de 1789 et prônant davantage d’égalité pour le peuple. Cet article 35 (détecté ici sur un boitier technique au pied de la tour du midi), le pochoiriste bruxellois Monzon en a fait une des munitions les plus redoutables de son « gun » militant pour - justement - un monde plus égalitaire. Pour lui, en effet, « chaque graffiti est un acte de révolte et de remise en question du système capitaliste. Les graffeurs, surtout les pochoiristes, doivent avoir la conscience politique de leurs actes » (extrait d’un interview réalisé pour ce blog). Au travers du groupement Terrorist Art System (TAS) qu’il a fondé naguère pour défendre la cause des pochoiristes, Monzon fournit aux artistes urbains un cadre de revendication anti-inégalité et anti-capitaliste dans lequel le graffiti prend « une énorme importance car c’est un mouvement social … car illégal » (idem). Mais que notre anarchiste prenne garde … Pour avoir milité en faveur de l’application de la déclaration de 1793, le jacobin François Noël Camille « Gracchus » Babeuf a été condamné à mort en 1797 ! C’est agonisant, suite à une tentative de suicide en se mutilant avec un stylet, que le révolutionnaire, meneur des Egaux, sera à son tour mené … à la guillotine. Alors, ami, fais gaffe au cutter !

mardi 11 novembre 2008

Requiem in Pace

Une ville comme Paris ou New York compte environ quatre rats par habitant. Même avec un discount de 50% pour tenir compte de l'aspect nettement plus provincial de Bruxelles, le nombre de rats dans notre belle ville peut nous faire un bon deux millions. Si 0,3 % d’entre eux meurent chaque jour (la longévité d’un rat en liberté étant d’un an), soit 6000 bestioles, il n’est guère étonnant de trouver quelques cadavres çà et là dans les rues de notre capitale. En voici un … bien noir, bien mort, bien raide sur le trottoir de la rue des Poissonniers. Il gît sur le pavé, son misérable statut de vermine le privant d’une sépulture plus digne ou d’une compassion plus fournie. Finalement, tout le monde souhaitait la mort de ce pauvre bougre, non ? Même le pochoiriste qui aurait pu, pour un risque identique, le pocher dans une version ante mortem … Etrange équation entre ART vivant et RAT mort unis dans un anagramme défectueux. Peut-être est-ce pour mieux nous signifier que le pochoir est un acte terminal ? Qu’il n’y a rien (à espérer) au-delà de celui-ci ? En tout cas, le pochoir photographié ici est en remarquable état, considérant son application directe à même le sol. Est-il récent ? Peut-être son auteur est-il toujours dans les parages … Si les forces de l’ordre l’avaient pris en flag’, il serait fait comme un … rat maintenant ! Pour avoir pochoirder ? Naaaan ! Pour avoir confondu le rat gris (rattus norvegicus) des villes avec le rat noir (rattus rattus) des champs et qui n’a donc rien à faire dans le quartier de la Bourse. Que fait donc la police ?

lundi 10 novembre 2008

.I.

Allez-y, faites le test pour voir … Crayon, papier, tracez deux ovales puis un machin plus allongé au milieu … Ajoutez deux yeux vifs et un sourire jovial … Voilàààà, succès de foule garanti ! Tous les dessinateurs et cartoonistes du monde entier vous le diront, ça marche à tous les coups ! Et je sais de quoi je parle, ayant imaginé et dessiné les aventures improbables de deux personnages, Mister Zizi et Miss Fufure, il y a bien longtemps jadis, avant de me … dégonfler et d’abandonner le projet malgré l’insistance populaire. J’aurais pu me faire des couilles en or avec ce truc ! Le pochoir ci-contre, lui, ne manque pas de vigueur ! Trouvé à l’angle de l’avenue de la Toison d’Or et de la rue du Bosquet, il exulte … Son caractère rigolo et rebondi est d’ailleurs un parfait exemple de la facilité comique avec laquelle nous dissocions pénis et phallus, ce dernier étant la représentation du premier. Le phallus peut exister de façon parfaitement autonome, il a sa propre vie, alors que l’autre, là et las, est condamné à rester attaché au pubis mâle et a comme qui dirait plutôt intérêt à y rester. Notre vaillant ami est donc un pochoir phallique et non un pochoir pénien ! D’ailleurs le pochoir pénien (penis stencil) ne s’applique pas sur un mur … c’est un petit gabarit utilisé par les tatoueurs pour orner la … le … enfin, vous voyez, quoi, de certains clients. Evitez dès lors la confusion lors d’un repas de famille ! Terminons par une note historique en rappelant que du temps des romains (les vieux, de l’antiquité), il était fréquent d’orner l’entrée d’une demeure avec une représentation de pénis car ce faire portait chance à ses occupants. Mille mercis donc au pochoiriste de la zigounette pour amener la bonne chance aux bruxellois et bruxelloises. Ils en ont bien besoin par les temps qui courent.

lundi 3 novembre 2008

J'ai chopé un virus ... c'est de saison !

Il prolifère, il pullule, il se propage à la vitesse d’une comète … Ce pochoir « Mami superstar » est tout partout à Bruxelles et se répand jusqu’à … Marseille ! Mais j’ai beau googler dans tous les sens, je ne trouve sous cette orthographe qu’une mention sans explication sur le blog d’une demoiselle (Just Jade) datant de 2005 et même le photographe Fr4nKc, qui a également repéré ce pochoir, ignore tout de sa signification … Bon, soit, et puis quoi ? Ben … et puis rien. On se soigne. Un pochoir qui se multiplie très vite et pour lui-même, sans signification nécessaire mais qui déclenche facilement sa mémorisation, s’appelle un « meme », c’est-à-dire un élément d’information « contagieuse » qui se multiplie égoïstement comme un virus. Dans un court essai intitulé « Stencil Art : A Revolutionary Meme », Russell Howze nous dit que la force virale d’un pochoir - meme réside dans la combinaison de trois propriétés : simplicité, mobilité et adaptabilité (stencilarchive.org). Il est évident que « Mami superstar » possède ces qualités. On pourrait même ( !) ajouter dans notre cas précis que le non-message s’ancre d’autant plus efficacement et durablement dans nos esprits qu’il peut « muter » sans perdre de sa force : super mami, mami star, mami super machin, mamy, mamie, mammy … Le nombre de variations et de permutations (sa mutabilité) est remarquable. Cet incroyable pouvoir de subversion est encore sur-amplifié par le fait que le pochoir - meme peut passer allègrement d’un médium à l’autre et du monde réel au monde virtuel, comme d’un mur à un … blog par exemple. Bref, le véhicule idéal pour une opération de marketing-guérilla. Faut-il donc s’attendre à voir bientôt arriver une série télévisée dont l’héroïne serait une grand-mère un peu flashy ou une nouvelle gamme de desserts préparés avec amour par une vieille cuisinière idéalisée (cheveux gris en chignon, lunettes sur le bout du nez, tablier à carreaux et grosse cuillère en bois) ? Si quelqu’un(e) a de l’information à ce sujet, qu’il nous contacte. Ajoutons pour finir que le « Mami superstar » illustré ci-contre a été photographié sur une porte à la peinture toute écaillée dans la rue Maurice Wilmotte, entre les chaussées de Waterloo et de Charleroi.