dimanche 27 novembre 2011

Mon art, ma toile, mon mur !

Certains y vont, certains n’y vont pas … Y vais-je ? Y vais-je pas … Tous les artistes de la rue se posent un jour la question de la galerie. La décision du dehors au dedans n’est pas sans risque, pas sans critique, pas sans commentaire. Cochez la raison : je file en toile parce que (1) il fait bien chaud dans la galerie, (2) l’éphémère l’est moins, (3) ça rapporte plus de thune que d’amende ou (4) fuck you, I am sprayous ? On vous laisse voter … Moi, finalement, je ne sais jamais très bien. J’ambivalence et j’ambiguite. J’aime aussi. Dans leur livre « Paris : De la rue à la galerie », Nicolas Chenus et Samantha Longhi, eux, ne discutaillent pas … Ils détaillent et retaillent sans errance d’âme le fait comme accompli. Belle succession de fiches et d’illustrations de trente artistes ayant fait le mur de la rude rue pour pénétrer dans l’antre de la douillette exposition. L’ouvrage lui-même a la proportion de la translationalité de l’acte rapporté : page ample, couleur superbe, information rigoureuse, prix coûteux … Car même s’il lui arrive de marcher en rue, le parcoureur de galerie a en effet plus l’attente de la belle matière que le déambulateur de ville qui s’accomode de peu … Le beau livre se doit donc d’être comme le prestigieux catalogue. Il s’adapte avec l’artiste qui s’adapte aussi. Le piéton, lui, suit.

Nous avons posé quelques questions à la co-plume du livre, Samantha Longhi. On balaie large et, attention, on balaie intello :


Certains artistes urbains passent de la rue à la galerie mais pas tous ... Va-t-on vers un clivage entre ceux qui "s'exposent" et ceux qui restent clandestins et furtifs ?

Nous n'envisageons pas les choses dans cette perspective. Il s'agit de trouver une définition satisfaisante à ce courant qui est tout sauf nouveau mais qui évolue très vite. Pour éviter les étiquettes et les définitions à tiroirs, nous préférons parler d'art urbain contemporain. Cela fait sens plus facilement. Il s'agit d'artistes qui ont une pratique d'atelier et qui ont une démarche artistique à la fois dans la rue et en galerie, qui conçoivent des oeuvres à destination d'un large public, gratuitement, et également à destination d'un public plus exigent de collectionneurs et amateurs d'art en proposant une lecture différente à travers des expositions. Artist or not artist, that is the question !

Un évènement douloureux et récent - le décès de DJ Medhi, aussi compagnon de la graffeuse-peintre Fafi - nous rappelle que l'art urbain vit sous différentes formes qui s'entrecroisent ... Cependant la façon dont on parle de ces formes artistiques reste très segmentée, pourquoi ?

C'est vrai que les gens ont peur de l'interdisciplinarité en général, à moins qu'ils préfèrent parler de ce qu'ils maîtrisent vraiment. C'est notre cas, en fait chez Graffiti Art, nous n'avons pas la culture musicale - ni Fashion dans d'autres cas - suffisante pour nous permettre de faire de tels recoupements. Le décès brusque de DJ Medhi a beaucoup affecté notre équipe de rédaction, mais nous laissons les personnes compétentes lui rendre le véritable hommage qu'il mérite.

Si l'art urbain continue à prendre de la valeur marchande, faut-il s'attendre à une multiplication des faux et des usurpations … Comment opérer un système de protection ou d'identification des oeuvres pour des artistes qui gardent encore souvent l'anonymat ?

C'est une question délicate, c'est vrai. J'ai tendance à croire, peut-être de façon naïve, qu'une forme de respect s'est instaurée dès le départ entre les différents artistes de rue, et quelle que soit leur technique. Souvent, j'ai entendu dans la bouche de certains des fantasmes de production de faux dans la rue afin de démystifier une technique pratiquée par d'autres artistes et perçue comme étant trop simple. Mais à part certains détournements, le plus souvent drôles, je n'ai jamais vu fleurir de faux sous mes yeux. Nemo a intenté un procès à la fin des années 90 quand des faux pochoirs imitant jusqu'à sa signature ont été posés dans les rues de Bogota par une entreprise suite au succès qu'il avait eu après son invitation par le maire de la capitale colombienne en 1996. C'est un cas qui reste toutefois isolé. La vague d'intérêt envers cette discipline est réelle pour le grand public, mais elle procède d'un véritable travail de la part d'acteurs professionnels comme les galeries, les maisons de ventes aux enchères, les musées, les collectivités … L'art urbain ne prend pas de la valeur en soi, on le vérifie dans le détail dans les résultats des ventes aux enchères. Seulement certains artistes sortiront du lot et résisteront au passage du temps. Le passage du temps, c'est bien ce contre quoi on écrit, on laisse sa trace, sur le papier ou dans la rue. Alors, même si ces artistes anonymes souhaitent le rester, il est très important au titre sociologique d'en conserver la trace, par la photo, la vidéo, ou le texte. Identifier, cartographier, analyser restent primordial. La mémoire de l’art urbain - qu'il se situe dans la rue ou en galerie - doit être préservée, car il s'agit là de la plus belle des libertés !


De fait, de fait … Si la liberté de l’art en rue doit être préservée, la liberté de préserver l’art en rue existe aussi ! Moi, j’avoue, du moment que ce n’est pas comme la vie sauvage qu’on « protége » avec une certaine bienveillance néo-paternalistique dans des réserves, des zoos et des collections de clones congelés … C’est bon. Et finalement, entre un graffiti sur un poster sur un mur extérieur et un graffiti sur une toile sur un mur intérieur, ce n’est peut-être que l’acte qui fait la différence. Remercions vigoureusement Nicolas Chenus et Samantha Longhi pour leur classieux et jalonnesque livre nouvellement paru chez l’éditeur Pyramyd.

Ha, oui, et j’oublais : La dame floue qui marche sur la couverture arrière du livre, au vu de ses pittoresques chaussettes, je vous ficherait bien mon billet que c’est Sam … Qu'en pensez-vous !? Les paris sont ouverts ...


Photographies et interview : Copyright Serge-Louis pour Brigadier Plipp.

dimanche 13 novembre 2011

Urban hominid with the right angle ...

Le piéton marche les yeux rivés sur le trottoir, obsédé par la crotte. Le déambulateur marche les yeux collés au mur, obsédé par le graffiti. Qui se soucie alors de scruter l’angle formé par le trottoir et le mur ? Sillon favori des mégots froids, feuilles mortes et herbes folles, l’angle se révèle pourtant être un merveilleux champs visuel et libre pour l’artiste qui sait l’exploiter de sa créativité graphique. Lumière rasante ou absente, rencontre brutale des enduits et des pavés, griffes du balayeur méticuleux … Terrain propice à la rébellion discrète, voire à la provocation confidentielle, l’angle est l’endroit qu’a choisi le poly-artiste Pablo Delgado pour exprimer son flow urbain. Ses œuvres jonctionnaires se composent de deux parties : un ou des personnage(s) collé(s) sur le mur et une ou des ombre(s) peinte(s) sur le trottoir … Les personnages sont d’une découpe détaillée et colorée, les ombres d’un tracé approximatif et noir … Patience du travail de préparation en studio clashant avec l’urgence de l’exécution en rue … L’effet contrasté est toujours surprenant, saisissant, intriguant … bref, réussi. Pablo a accepté de répondre à nos trois questions :

Hi Pablo ! Your work combines collages on walls - a removable act on a private space - and paintings on pavements - a permanent act on a public space ... Law enforcement authorities must have a hard time determining your degree of offense ! Is this on purpose ?

It is a nice way to think about it ! It turns the paste-up into a more complex concept … But that is not the purpose … I don't think of the wall as private and the sidewalk as public. Both for me are public and illegal ! I don’t ask permission to do it on these walls, but I don't consider what I do as an offense either. And how would I know if the owner considers it in a different way ? That is part of my choosing to do it at night. Just by doing it like that tells you that maybe I am scared to get caught … The joy of doing something that you are not suppose to do brings you back to your childhood.


I have been told that some pieces identified as your artwork are actually not painted by you … For exemple the little Queen of England. Is imitation the sincerest form of flattery ?

Yes, there are paste-ups of already existing characters that were photographed for a different purpose, like public images reinterpreted in a public space ... The little Queens are not mine at all ! When I first saw them, I was angry and disappointed with how someone could have the balls to copy my artwork … Then, just like you say, I started to see it as flattery, or even as an honor for me to inspire someone else to do it. Although I don’t see the point, really … Maybe he is just making fun of it ?

The subjects and objects represented in your collages are sometimes rather simple and sometimes the results of more elaborate montages ... How do you decide what you are going to cut and paste ? Is there a specific message within each collage ?

All the scenes are being developed as a story. The doors came first, then different kinds of red characters, and now the blue ones are appearing and starting to live among the red ones. It could be that all of them came out of the doors … Some of the characters are just individuals whereas others are playing together as in a scene. So these assemblages can be either complex or very simple. They are just like things are in real life ! Now, I need to add that all of them have to remain somewhat uncertain for the viewers. Most of them have an specific meaning for me but, because they are not obvious, they can be interpreted in many different ways.


Well … Thank you, dear Pablo for leaving your artwork open to multiple interpretations … And also for gratifying the streets of London with these little funny pieces ! Actually, what may be even funnier is the way people now walk in the Shoreditch district … Bending all the way forward, nose to the ground on their all fours, to get a chance to glimpse at your collages … A nice - but somewhat regressive - impact on hominid street behavior ! Graffiti hunting, like any evolutionary trait or thought, is always about catching the right angle.

Pablo Delgado est né à Mexico City en 1978 et vit à présent à Londres. Son site web est à www.pablodelgadomc.com !

Interview et photographies sont copyright Serge-Louis pour Brigadier Plipp. Les photographies ont été prises au ras du trottoir sur Fashion Street et Grimsby Street. I do know who did the fake Queen collage but I won’t tell nobody …