dimanche 18 octobre 2009

Froidure et coulure

Avec l’automne, les pochoiristes retrouvent progressivement la perspective de belles nuits sombres et longues, celles qui sont propices aux plus productives virées street-artistiques. Bonne nouvelle mais aussi mauvaise nouvelle : ça caille. En route vers l’hiver, déjà, les supports se refroidissent, l’air se glace et les nébuleuses de spray décident de se figer, suspendues quelque part entre bombe et gabarit ... Les visages se crispent sous les bonnets, les doigts se crampent dans leurs mitaines. La peinture bave, rate, boulette ou coule. Patatra. Le coup - dur et direct - peut arriver à chacun ... Mais il faut sans doute l’aplomb de l’expérience et la témérité de l’engagement pour sur-le-champ retomber sur ses, hum, caps. VGT, célèbre pochoiriste de Bruxelles, accepte en exclusivité pour ce blog de nous parler d’un bien fâcheux incident survenu lors d’un pochage « Cramps » dans la rue de la Gouttière. Nous dit l’artiste : « Il faisait très froid cette nuit-là et j’utilisais une bombe fluo. Je voulais faire un fluo comme ça, pour voir ce que ça donnait ... Parce que le fluo, ça va bien avec le groupe. Mais la peinture a lamentablement coulé ! le fluo ne s’est pas solidifié à cause du froid. Alors, j’ai rapidement repassé au noir, vite parce qu’il y avait des regards suspects. Je ne pouvais pas laisser un pochoir aussi raté là ! C’était une mesure d’urgence. Puis j’ai remis de l’orange dessus parce que c’était la seule couleur que j’avais. En même temps, j’ai pensé que l’orange et le noir ça pouvait être assez bien pour l’ambiance du pochoir ». Beau rétablissement, bravo ! Seule une inspection très méticuleuse du site permet de suspecter qu’une catastrophe picturale a bien failli survenir ici ... L’indice est dans le coin supérieur droit où un peu de fluo du premier bombage a échappé au noircissement hâtif.
Le danger d’une bavure est toujours présent, surtout dans les conditions extrêmes et nocturnes dans lesquelles opèrent généralement les pochoiristes. Même si une partie significative du travail, le dessin et le découpage du gabarit, est préparée avant de prendre la rue, tant de choses peuvent encore se passer entre bombe et mur ... VGT ajoute d’ailleurs : « Parfois j’ai peur que ça coule, mais ça ne m’est arrivé que deux fois ». Au moment d’enfiler leurs épais anoraks, les pochoiristes savent que l’épreuve les guette à chaque instant, à chaque mouvement. Et pourtant, nuit après nuit, génération après génération, ils s’enfuient avec bombes et gabarits dans la pénombre brumeuse pour donner vie à nos murs austères ... et froids.

samedi 10 octobre 2009

Le canal ne dort plus !

Le saccage de Bruxelles par ses édiles ne date pas d’hier ... Un bon exemple est le voûtement de la Senne ordonnée par le bourgmestre Jules Anspach au milieu du 19ième siècle. Expropriation massive, abusive et spéculative de maisons habitées par une population ouvrière sans défense, absence de procédure d’adjudication des travaux, détournement de fonds et surtout ... perte irrémédiable de ce qui justifie et anime souvent la vie d’une ville, sa rivière. Mais le voûtement de la Senne n’était finalement que le second arrêt de mort de la belle sacrifiée. En effet, la décision prise au milieu du 16ième siècle de creuser un canal au travers de Bruxelles pour y faire transiter la navigation des bateaux avait déjà privé la rivière d’une bonne partie de sa raison d’être économique ... Le long du canal s’installèrent usines, entrepôts et autres édifices au centre d’un réseau de voies ferroviaires dont le site de transbordement des marchandises Tour & Taxis (parce que construit dans les premières années du 20ième siècle sur une propriété de la famille autrichienne Thurn und Taxis) devint un des points de convergence. Adieu l’eau aux flots doux et romantiques, place aux péniches chargées de caisses et de barriques.

Fast-forward, maintenant - par-dessus les tristes aléas des cycles industriels qui endormirent la zone - vers le siècle présent ... S’appuyant sur la superbe restauration et réaffectation du site de Tour & Taxis (allez, les pouvoirs publics et privés sont capables des meilleures choses quand ils le veulent bien), une toute nouvelle impulsion est en train de s’épanouir le long du morne canal. Le festival multi-culturel Couleur Café y a déjà vécu plusieurs éditions passionnantes et l’avenue du Port - qui longe le site - commence à aligner les lieux musicaux et festifs comme autant de perles sur un collier. Au n° 1 se trouve la grande bâtisse du K-Nal dans lequel sont organisées les soirées Anarchic, Fight Klub et (depuis ce samedi soir) Libertine / Supersport. C’est au N° 51 que réside le nouveau Magasin 4 et le N° 71 accueille le nouveau Bulex ! Si l’on suit l’avenue du Port vers le centre-ville, sur les quais aux Charbonnages - en différents endroits de l’ancien site des brasseries Bellevue - on peut y trouver des lieux d’occupations temporaires (Hêbê, Catclub, Auquai) aux programmations variées. Alors, si la musique est bonne, les pochoirs ne vont pas tarder ! Bel exemple pionnier : cet extraordinaire oeuvre de Shine (ci-contre) apposée sur le mur d’un hangar de l’avenue du Port. Dans un interview récent et exclusif pour ce blog, l’artiste nous explique : « Dans toute ma nouvelle série, il y a de très grandes tailles. C’est un nouveau chapitre que j’ouvre par rapport à mes préoccupations. J’étais assez sur les nerfs alors je me suis permis d’expérimenter le pessimisme ... Une fois que j’aurai fait le tour de mon délire, je ne sais pas ce que je garderai. Il y a des fois où je me sens obligé de théoriser, comme le Frankenstein. Bruxelles est pleine de symboles et j’ai moi aussi mes signes, mon iconographie. C’est mon culte à moi. Alors mettre Frankenstein sans rien, ça ne marche pas. Je crois en des symboles qui nous disent que nous subissons les choses ». Entre clapotis des eaux noires du canal et vagues rythmiques des festivités nocturnes, les symboles de Bruxelles ressurgissent comme autant de polysémies ... Dansons et pochons le long du canal qui ne dort plus.