Au pays des pochoirs petits et monochromes, l’application au sol (directement par terre, quoi) n’est pas fréquente. En regardant bien où vous mettez les pieds (diminuant ainsi le risque de marcher dans une crotte de chien), vous trouverez peut-être quelques textes ou signes pochés sur les trottoirs bruxellois ... mais ceux-ci restent une exception numérique par rapport aux murs et palissades. Pourtant le « sidewalk stenciling » ne manque pas d’avantages et de charmes. L’usage est discret (je fais semblant de renouer le lacet de ma chaussure et ... pschiiiiiit ... c’est dans la « poche »), l’opération se pratique nettement sous la ligne de balayage ophtalmique des agents de la maréchaussée (derrière une bagnole, une vieille dame tirant son caddy, une poubelle) et sur une surface clairement identifiée comme voirie publique (donc pas privée) ... Enfin, son résultat est d’autant mieux mis en valeur qu’il est isolé des nombreuses pollutions verticales que sont les panneaux, enseignes, affiches et autres communicants mercantiles ou disciplinaires qui sur-saturent continuellement notre champ de perception visuelle. Bref, pour un pochoir, il serait difficile d’être encore plus « fondu » dans la routine urbaine quotidienne, tant le trottoir est à la fois un des éléments collectifs premiers de la ville (spatialement translationnel entre rue et immeuble) et un lieu d’expérience individuelle primale pour chaque piéton, poussettiste et - parfois - cycliste. Un idéal de situation(n)isme ! Face à tous ces attraits, la faible fréquence des pochoirs terrestres à Bruxelles est donc difficile à expliquer. L’exemple que nous en donnons ici est un portrait non signé (mais très certainement attribuable à Siul) que nous avons trouvé rue Saint-Roch, dans le bas de la ville. Si nous pouvions contacter l’auteur, nous lui demanderions certainement comment il gère l’équilibre délicat entre la gracieuseté de l'action pochoiresque au sol et la seule conséquence fâcheuse de son choix, qui est de se faire marcher sur la gueule dix, cent ou mille fois par jour ? Mais nous n’avons pas réussi à identifier le visiblement juvénile et souriant Siul.
En complément international à cette illustration bruxelloise, nous avons sélectionné dans nos gigantesques archives deux autres poch-traits également plaqués au sol. Le premier est de Féfé (aka Féniski, un rappeur français) photographié rue des Halles à Paris et le second est de Spud (aka Eric Campbell, un hip-hoppeur américain) photographié sur Spring street à New York. Dans ces deux cas, interestingly, la posture situation(n)iste du pochoir au sol est prise à contre-pied (!) puisqu’il s’agit d’utiliser une mise-en-rue artistique originellement désaliénante (rappel : l’horizontalité du sol l’éloigne des signaux consuméristes verticaux) pour ... justement ... promouvoir la vente d’albums de musique ! Donc, l’équation revient ici à : « OK, tu me marches sur la gueule mais je te fourgue mon CD en échange » ... L’ami Siul échappe-t-il, lui, au tupsy-torvy insidieusement commis par Féfé et Stud ? Inconnu au rayon des lyricistes mélodieux, on pourrait se dire, à défaut, que « oui », son acte est probablement innocent et désintéressé ...
Mais c’est compter sans les pirouettes de la destinée urbaine qui font que la rue Saint-Roch soit dans un des très rares quartiers de notre plutôt prude et puritaine capitale où la prostitution libre (non-close) est, sinon officiellement tolérée, du moins joyeusement pratiquée ! Femmes de joie et travelos de joie y déballent en effet leur marchandise vénale à même le trottoir à toute heure du jour (un peu) et de la nuit (beaucoup). Donc, pour Siul, l’équation revient peut-être à : « OK, tu me tapines sur la gueule mais en échange de » ... de quoi ? De zieuter sous la jupe des péripatéticiennes ? Mon dieu, lui seul le sait. Et peut-être est-il, malin, encore plus proche de la démarche situation(n)iste qu'on ne pourrait le penser, puisque celle-ci cherche en effet à créer des situations alternatives dans lesquelles les désirs humains les plus primitifs se réalisent. (ndlr : si c'est le cas, alors chapeau !). En attendant, un peu plus de « sidewalk stenciling » à Bruxelles ne serait pas de refus.
dimanche 9 août 2009
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