Certains y vont, certains n’y vont pas … Y vais-je ? Y vais-je pas … Tous les artistes de la rue se posent un jour la question de la galerie. La décision du dehors au dedans n’est pas sans risque, pas sans critique, pas sans commentaire. Cochez la raison : je file en toile parce que (1) il fait bien chaud dans la galerie, (2) l’éphémère l’est moins, (3) ça rapporte plus de thune que d’amende ou (4) fuck you, I am sprayous ? On vous laisse voter … Moi, finalement, je ne sais jamais très bien. J’ambivalence et j’ambiguite. J’aime aussi. Dans leur livre « Paris : De la rue à la galerie », Nicolas Chenus et Samantha Longhi, eux, ne discutaillent pas … Ils détaillent et retaillent sans errance d’âme le fait comme accompli. Belle succession de fiches et d’illustrations de trente artistes ayant fait le mur de la rude rue pour pénétrer dans l’antre de la douillette exposition. L’ouvrage lui-même a la proportion de la translationalité de l’acte rapporté : page ample, couleur superbe, information rigoureuse, prix coûteux … Car même s’il lui arrive de marcher en rue, le parcoureur de galerie a en effet plus l’attente de la belle matière que le déambulateur de ville qui s’accomode de peu … Le beau livre se doit donc d’être comme le prestigieux catalogue. Il s’adapte avec l’artiste qui s’adapte aussi. Le piéton, lui, suit.
Nous avons posé quelques questions à la co-plume du livre, Samantha Longhi. On balaie large et, attention, on balaie intello :
Certains artistes urbains passent de la rue à la galerie mais pas tous ... Va-t-on vers un clivage entre ceux qui "s'exposent" et ceux qui restent clandestins et furtifs ?
Nous n'envisageons pas les choses dans cette perspective. Il s'agit de trouver une définition satisfaisante à ce courant qui est tout sauf nouveau mais qui évolue très vite. Pour éviter les étiquettes et les définitions à tiroirs, nous préférons parler d'art urbain contemporain. Cela fait sens plus facilement. Il s'agit d'artistes qui ont une pratique d'atelier et qui ont une démarche artistique à la fois dans la rue et en galerie, qui conçoivent des oeuvres à destination d'un large public, gratuitement, et également à destination d'un public plus exigent de collectionneurs et amateurs d'art en proposant une lecture différente à travers des expositions. Artist or not artist, that is the question !
Un évènement douloureux et récent - le décès de DJ Medhi, aussi compagnon de la graffeuse-peintre Fafi - nous rappelle que l'art urbain vit sous différentes formes qui s'entrecroisent ... Cependant la façon dont on parle de ces formes artistiques reste très segmentée, pourquoi ?
C'est vrai que les gens ont peur de l'interdisciplinarité en général, à moins qu'ils préfèrent parler de ce qu'ils maîtrisent vraiment. C'est notre cas, en fait chez Graffiti Art, nous n'avons pas la culture musicale - ni Fashion dans d'autres cas - suffisante pour nous permettre de faire de tels recoupements. Le décès brusque de DJ Medhi a beaucoup affecté notre équipe de rédaction, mais nous laissons les personnes compétentes lui rendre le véritable hommage qu'il mérite.
Si l'art urbain continue à prendre de la valeur marchande, faut-il s'attendre à une multiplication des faux et des usurpations … Comment opérer un système de protection ou d'identification des oeuvres pour des artistes qui gardent encore souvent l'anonymat ?
C'est une question délicate, c'est vrai. J'ai tendance à croire, peut-être de façon naïve, qu'une forme de respect s'est instaurée dès le départ entre les différents artistes de rue, et quelle que soit leur technique. Souvent, j'ai entendu dans la bouche de certains des fantasmes de production de faux dans la rue afin de démystifier une technique pratiquée par d'autres artistes et perçue comme étant trop simple. Mais à part certains détournements, le plus souvent drôles, je n'ai jamais vu fleurir de faux sous mes yeux. Nemo a intenté un procès à la fin des années 90 quand des faux pochoirs imitant jusqu'à sa signature ont été posés dans les rues de Bogota par une entreprise suite au succès qu'il avait eu après son invitation par le maire de la capitale colombienne en 1996. C'est un cas qui reste toutefois isolé. La vague d'intérêt envers cette discipline est réelle pour le grand public, mais elle procède d'un véritable travail de la part d'acteurs professionnels comme les galeries, les maisons de ventes aux enchères, les musées, les collectivités … L'art urbain ne prend pas de la valeur en soi, on le vérifie dans le détail dans les résultats des ventes aux enchères. Seulement certains artistes sortiront du lot et résisteront au passage du temps. Le passage du temps, c'est bien ce contre quoi on écrit, on laisse sa trace, sur le papier ou dans la rue. Alors, même si ces artistes anonymes souhaitent le rester, il est très important au titre sociologique d'en conserver la trace, par la photo, la vidéo, ou le texte. Identifier, cartographier, analyser restent primordial. La mémoire de l’art urbain - qu'il se situe dans la rue ou en galerie - doit être préservée, car il s'agit là de la plus belle des libertés !
De fait, de fait … Si la liberté de l’art en rue doit être préservée, la liberté de préserver l’art en rue existe aussi ! Moi, j’avoue, du moment que ce n’est pas comme la vie sauvage qu’on « protége » avec une certaine bienveillance néo-paternalistique dans des réserves, des zoos et des collections de clones congelés … C’est bon. Et finalement, entre un graffiti sur un poster sur un mur extérieur et un graffiti sur une toile sur un mur intérieur, ce n’est peut-être que l’acte qui fait la différence. Remercions vigoureusement Nicolas Chenus et Samantha Longhi pour leur classieux et jalonnesque livre nouvellement paru chez l’éditeur Pyramyd.
Ha, oui, et j’oublais : La dame floue qui marche sur la couverture arrière du livre, au vu de ses pittoresques chaussettes, je vous ficherait bien mon billet que c’est Sam … Qu'en pensez-vous !? Les paris sont ouverts ...
Photographies et interview : Copyright Serge-Louis pour Brigadier Plipp.
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